EUGÉNISME PARTOUT, TRANSHUMANISME NULLE PART !

Qui est eugéniste ? Qui fétichise les gènes ? Examinons quelques logiques sociales plus insidieuses.

Marc Roux, président de l’AFT, a déconstruit l’affirmation que l’imaginaire technoprogressiste est eugéniste(1).

Cependant, on peut se demander si la logique eugéniste n’est pas plus répandue et insidieuse qu’il n’y paraît ?

Cela pourrait être particulièrement vrai chez les adversaires du transhumanisme qui brandissent le terme comme un épouvantail.

Les sens du mot :

Au sens strict on dira que l’eugénisme renvoie à l’intervention sur le génome, par des pratiques technologiques ou sociales, pour tenter de sélectionner ou d’éradiquer des traits particuliers, plus ou moins directement reliés au codage génétique.

En un sens plus large, plus archaïque et étymologique, cela touche à l’identité (genos en grec = le clan ; eugén- = être bien né, né du bon ancêtre) et à des qualités communes partagées, que l’on suppose transmissibles par l’alliance (bon sang ne saurait mentir). L’important sera alors de s’unir avec le bon parti.

L’eugénisme est ainsi un ensemble de représentations et pratiques institutionnelles plus ou moins explicites mais systématiques, pouvant toucher aussi bien les individus que les groupes sociaux et l’Etat, visant à promouvoir, sélectionner et de fait, hiérarchiser ou discriminer les personnes en fonction de leurs ascendances « génétiques » réelles ou supposées, de leurs caractéristiques actualisées en tant qu’elles sont vues comme reliées à cette ascendance et considérées comme désirables, meilleures.

Typologie eugéniste contemporaine :

Les eugénismes hypocrites

Si l’on considère la dynamique des types d’eugénisme proposés ici, on peut dire que le type Aléatoire, censé représenter nos sociétés est en réalité une imposture, et que sa figure réelle est, ou a longtemps eu tendance à être Homogame.

Pour que le type Aléatoire soit effectif, il faudrait une société sans classe, sans logique de compétition, voire sans appariement affinitaire des individus.

Par exemple, même une société anarchiste affinitaire ne pourrait tendre vers Aléatoire que si les affinités n’étaient pas liées à une attraction biologique et/ou sociale/comportementale, qu’elles étaient purement gratuites et irrationnelles. Ceci semble assez absurde.

Bien plus probable, une société tendant vers Aléatoire serait une société qui réaliserait l’appariement des individus via un système aléatoire (les autorisations de couplage/mariage seraient accordées par loterie). Pourrait-elle se mettre en place autrement que de manière autoritaire ? En tout cas, elle deviendrait certainement eugéniste assumée. On pourrait alors la désigner comme Autoritaire’.

Nos sociétés ne fonctionnent pas ainsi, et ne semblent pas y tendre.

Nos sociétés sont plus ou moins hypocritement des sociétés Homogame, il faut le travail de la sociologie pour mettre au jour les logiques de l’homogamie, et possiblement la psychologie évolutionniste pour celles de l’attractivité sexuelle (3). Ces sociétés sont souvent assez diversitaires sur le plan génétique pour ne pas poser de problème de consanguinité insurmontable. Mais elles le sont très relativement sur le plan de l’homogénéité symbolique des groupes (surtout des élites (4) ).

On peut envisager des corrélations entre les revenus disponibles, la catégorie sociale, le niveau d’étude, les comportements (notamment alimentaires), les modes de vie (5), avec une incidence sur les facteurs épigénétiques (6), sur le QI (7), etc. En outre, et ajouté à cela, l’attirance physique intra groupe serait aussi lié à des facteurs génétiques (type perception sensorielle du système immunitaire, etc.). Même assez “diversitaire”, cette logique entraîne une homogénéisation, et assurément une dynamique eugéniste de fait, plus ou moins consciente, plus ou moins symbolique (avec effets plus ou moins constatables sur la génétique des populations (8) ), plus ou moins verrouillée par la hiérarchisation du système économico-politique (9).

On a donc ici une sorte d’eugénisme, ni totalement “naturel”, ni totalement institué.

Aujourd’hui, avec les techniques de dépistages prénataux non-invasifs (DPNI) (10) et l’évitement possible de naissances très pathologiques, on peut observer une extension des cas justifiant le contrôle génétique, et ainsi une ouverture à des thèses plus proches de Libéral.

Les eugénismes assumés

L’eugénisme Autoritaire, de type nazi, semble assez archaïque, inefficace, brutal et facteur d’instabilités pour qu’il ne soit probablement plus un devenir possible. Il nécessite une conjonction de barbarie et de technicité qui ne correspond plus ni aux connaissances scientifiques, ni à une stratégie cohérente de contrôle des populations. En revanche, des logiques de purification ethnique ou de verrouillages nationalistes restent certainement une possibilité.

L’eugénisme Autoritaire’, contrôlé via un processus aléatoire strict semble aussi éloigné de l’état d’esprit contemporain.

En revanche, si les élites restent entre elles, pratiquent de l’édition génétique (fatalement réservée par des dispositifs juridiques ou financiers — sans quoi on passerait dans Libéral) et laissent la variété hasardeuse s’exprimer dans les classes inférieures, ce serait alors un devenir de Autoritaire vers un Autoritaire’ soft 2.0 (hybride de Aléatoire, Homogame et Libéral, du type Gattaca).

Actuellement, il semble exister une tendance “naturelle”, hors génie génétique, à ce que nos sociétés dérivent vers Autoritaire’ soft 1.0 (car hors édition génétique) (11).

Schéma des dynamiques eugénistes :

Qui fétichise les gènes ?

Où est donc le transhumanisme dans cette classification ? Nulle part !

Il est souvent reproché aux transhumanistes d’être eugénistes, car ils veulent pouvoir modifier plus facilement le génome, refuser certaines maladies, en guérir, repousser le vieillissement (12), voire simplement jouer avec des traits morphologiques. Notons avec Marc Roux, qu’il n’y a pas forcément de normativité stricte chez les transhumanistes, le bon et le mauvais étant à l’appréciation de chacun. L’accent est mis sur la liberté individuelle lorsque les personnes sont autonomes, et sur les décisions collectives (démocratiques) lorsqu’il s’agit d’envisager d’intervenir sur des personnes non autonomes.

L’idée est d’ouvrir, de métisser et d’hybrider, de faire exploser les diversités et les réversibilités, de faire place à de nouvelles formes d’aléas, de créativité et d’imprévisibilité. Les cloisons sociales n’auraient plus d’assises naturalisées par des supériorités génétiques réelles ou supposées, par des traits attribués à la naissance comme un destin et largement héritables. En outre, au sein de cette diversité, les normes validistes perdraient probablement de leur force.

Il y a cependant des modifications sur lesquelles pourraient probablement se dessiner des consensus. Ce qui permet une vie beaucoup plus longue en meilleure santé et tout ce qui peut rendre les humains plus attentifs les uns vis-à-vis des autres, ce qui peut inclure des améliorations de l’intelligence. Attention, ces transformations, particulièrement les transformations cognitives nécessitent des connaissances scientifiques encore très éloignées de nos connaissances actuelles (13).

Le technoprogressisme aboutirait certainement au passage vers une société de type transhumaniste H+, soit une sorte de société Homogame mais délestée de ses aspects d’eugénisme (normatif et essentialiste). L’ouverture à la diversification génétique associée à la moindre pression économique et sociale (longévité et institutions de répartition des richesses) (14) auraient probablement pour conséquence une plus grande souplesse, notamment dans ses capacités à changer (de classe, de fonction, de formation, de morphologie, etc.) au cours d’une vie.

Mais surtout, si comme le disent les opposants au transhumanisme, la génétique ne fait pas tout, pourquoi en avoir peur ? Pourquoi les modifications ludiques des transhumanistes auraient-elles un impact énorme, biologique et social, justifiant les interdictions les plus radicales ?

Tout cela ne trahit-il pas une volonté conservatrice, en réalité appuyée sur cette “croyance génétique naïve” qu’ils nous reprochent ? Ce serait alors la menace pour le statu quo, portée par le transhumanisme, qui motiverait cette panique morale.

NOTES :

1: https://transhumanistes.com/transhumanisme-pas-un-eugenisme-liberal/

2: Outre le fait qu’un phénomène “naturel”, “hasardeux”, peut engendrer un appauvrissement génétique

3: Sans préjuger ici de leur importance relative, de leur puissance de détermination ou de la possibilité d’autres facteurs.

4: https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2014-3-page-459.htm

5: https://www.cairn.info/le-systeme-des-inegalites–9782707152206.htm

6: https://www.em-consulte.com/article/76382/article/epigenomique-nutritionnelle%C2%A0-impact-de-regimes-ali#N10189

7: https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/intelligence/comment-notre-mode-de-vie-modifie-notre-intelligence-15276.php

8: https://theconversation.com/se-mettre-en-couple-ne-doit-plus-rien-au-hasard-135059

9: https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1971_num_26_3_5225

10: https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2018-1-page-55.htm

11: “Plutôt qu’à un retour des classes sociales, nous semblons assister à une unification lente mais régulière de la société française, qui contraste avec un mouvement de repli décelable à son extrême sommet.” conclusion de https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2014-3-page-459.htm

12: Chaque année, 40 millions de personnes meurent des suites du vieillissement. Qui s’en émeut ? Certainement pas les critiques du transhumanisme qui sont logiquement thanatophiles.

13: Par exemple, le rôle de la pléiotropie, ou capacité d’un même gène à avoir des effets souhaitables et d’autres moins, est de plus en plus souligné par les généticiens. Dit autrement : les talents et les tares vont volontiers main dans la main.

L’épigénétique, relativisation du pouvoir des gènes, constitue un domaine également très en vogue aujourd’hui : un même génome peut aboutir à des phénotypes et trajectoires de vie très différentes selon la qualité de l’éducation et de l’environnement.

14: Voir en ce sens les propositions principales d’un mouvement politique inspiré du technoprogressisme comme le Mouvement Transhumaniste. http://mouvement-transhumaniste.fr/

Auteur : Frédéric BALMONT

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